Inflation : cette récession qui vient

par Arnaud Sylvain | Economie

15 mai 2022

Inflation : cette récession qui vient

Le niveau d’inflation approche actuellement 5 % en France, bien au-delà de la cible de 2 % fixée par la Banque Centrale Européenne. Faut-il s’en inquiéter ? Oui.


Rappel :

L’Insee définit l’inflation comme la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.

Lorsque l’inflation augmente, vous achetez moins avec la même somme.


 

L’inflation s’établissait à 4,5 % en France en mars 2022. Elle pourrait dépasser 5 % en avril. C’est un niveau jamais atteint depuis le début des années 2000 et la création de l’euro. Il y a bien eu un pic d’inflation en 2008, mais qui n’a pas atteint le niveau actuel.

L'inflation en France depuis 2000

L’inflation est encore plus forte dans la plupart des autres pays de la zone euro où elle se situe entre 7 et 8 %. Elle atteint même 9 % en Belgique et 11 % aux Pays-Bas.

C’est la raison pour laquelle certains économistes tel Patrick Artus (Natixis) n’excluent pas que l’inflation puisse atteindre 8 voire 10 % en France d’ici la fin de l’année 2022.

Patrick Artus (Natixis) : "Le potentiel d'inflation est très élevé !"
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Pourquoi les prix augmentent-ils ?

Cette hausse des prix inédite résulte de la conjonction de plusieurs facteurs :

  • La levée des restrictions liées au covid a provoqué une hausse de la demande de consommation de la part de ménages sevrés depuis début 2020 et l’apparition des premiers confinements.
  • Or, les entreprises peinent à satisfaire cette demande en raison de capacités insuffisantes et/ou de difficultés d’approvisionnement. La pandémie a désorganisé les chaînes d’approvisionnement et les capacités de production ont été réduites pendant cette période de sous-activité.
  • Par conséquent, face à une demande qui les dépasse, les entreprises répercutent leur manque de capacités et la hausse de leurs intrants dans leurs prix. Tant que la demande sera supérieure à l’offre et que les pénuries persisteront, les prix seront orientés à la hausse.
  • Mais en Europe et contrairement aux États-Unis, la hausse des prix de l’énergie qui a débuté en 2021 et s’est accélérée avec le conflit en Ukraine, est le principal déterminant de l’inflation. Sur un an, celle hausse atteint près de +30 %.

 

Les multiples causes de l’inflation

  • L’inflation par les coûts : Lorsque les prix des matières premières s’accroissent, cela pèse sur les coûts de production des entreprises. Il en va de même si en raison de la faiblesse du chômage, ces dernières doivent augmenter les salaires pour pouvoir attirer de nouveaux employés.
  • L’inflation par la demande : Lorsque la demande de produits ou de services s’accroît mais que l’offre de produits et services n’arrive pas à s’adapter à ce surcroît de demande, les prix sont poussés à la hausse.
  • L’inflation importée : Lorsque le taux de change d’une monnaie se déprécie, le coût des produits importés augmente. Ce renchérissement des importations se répercute dans tous les secteurs de l’économie. Ce phénomène peut aussi avoir pour origine une forte hausse des cours des produits énergétiques et agricoles sur les marchés mondiaux.
  • L’inflation par excès de création monétaire : Certains économistes considèrent que l’inflation apparaît parce que le stock de monnaie circulant dans l’économie est trop important par rapport à la quantité de biens et services offerts.

source : La finance pour tous

 

Quelles sont les (premières) conséquences de l’inflation ?

L’inflation actuelle pénalise surtout les ménages, qui subissent de plein fouet la hausse de prix de l’énergie et de certains biens. La situation est plus contrastée pour les entreprises. Certaines voient leurs marges se réduire (leurs coûts augmentent et elles sont dans une situation où elles ne peuvent augmenter leurs prix) tandis que d’autres parviennent à répercuter la hausse de leurs coûts dans leurs prix.

Pour les ménages, dont la plupart n’ont pas vu leur rémunération s’ajuster à la hausse de prix, la perte de pouvoir d’achat est significative et fait peser un risque sur la croissance. Tous les ménages ne pourront compenser leur perte de pouvoir d’achat en piochant dans leur épargne et une contraction de la consommation n’est pas à exclure.

Cet enchaînement Inflation/perte de pouvoir d’achat/baisse de la consommation/récession semble d’ailleurs se mettre en place, comme en témoignent les premières estimations de l’Insee pour le premier trimestre 2022. La croissance de l’économie française y ressort à 0 %, en raison principalement d’une consommation des ménages en retrait de -1,3 %.

L’apparition d’une inflation auto-entretenue (spirale inflationniste)

Or l’inflation devrait encore s’accroître dans les prochains mois et atteindre près de 8 %. Ce niveau pourrait être dépassé si un embargo était décidé sur le gaz et/ou le pétrole russe.

Un tel choc d’inflation ne peut être absorbé par les ménages, même avec l’aide de l’État et le déploiement de divers « chèques ». Une hausse des rémunérations est inévitable.

Cette diffusion de l’inflation aux salaires constitue un risque majeur. Elle peut provoquer une inflation auto-entretenue via la mise en place d’une boucle prix-salaires.

La hausse des salaires provoquera une hausse des coûts qui pourrait se répercuter sur les prix de vente, puis sur les salaires, et ainsi de suite.

C’est cette inflation auto-entretenue qu’il faut prévenir car elle peut déboucher sur une inflation durablement élevée.

spirale inflationniste

Pourquoi lutter contre l’inflation ?

Plusieurs arguments plaident pour la stabilité des prix :

  • L’inflation dégrade la compétitivité extérieure, ce qui freine les exportations. Dans le même temps, cela favorise les importations. Il en résulte une dégradation du commerce extérieure qui pèse sur le PIB.
  • Il faut rappeler que le PIB correspond à la somme de la consommation (C), de l’investissement (i) et des exportations (X), minorée des importations (I). Et que la croissance du PIB, c’est la croissance économique.
  • PIB = C + I + X – I
  • L’inflation renforce l’incertitude quant au niveau futur des prix. Ce manque de visibilité complique l’évaluation de la rentabilité des investissements, au risque de les abandonner ou de les reporter. Moins d’investissement, c’est moins de croissance.
  • L’inflation pénalise les ménages car les salaires ne sont pas totalement indexés sur les prix. Ils doivent alors piocher dans leur épargne pour maintenir leur niveau de vie, épargne elle aussi rongée par l’inflation.
  • L’inflation exacerbe le conflit de répartition entre salaires et profits. Les entreprises veulent préserver leurs marges et les salariés, leur pouvoir d’achat. Dans une France plus divisée que jamais, l’inflation pourrait être le déclencheur de nouveaux troubles sociaux.
  • L’inflation élevée peut aussi provoquer une hausse des taux d’intérêt à long terme et par ricochet une augmentation des taux des crédits qui pèse sur l’investissement (y compris l’investissement immobilier).
  • L’inflation peut en revanche profiter aux emprunteurs à taux fixe, à condition toutefois qu’ils aient des projets à financer et la capacité à s’endetter.

Par ailleurs, les disparités observées dans la zone Euro ne sont pas tenables. Elles doivent être corrigées sous peine de provoquer des divergences entre pays qui pourraient mettre la zone euro en péril.

La France est parvenue à limiter son inflation aux alentours de 5 % mais cela sera vraisemblablement insuffisant pour éviter une intervention de la BCE. L’inflation est trop élevée dans d’autres pays de la zone Euro.

L’intervention inévitable de la BCE et le risque de récession

Pour éviter les effets de second tour et une divergence des économies de la zone euro, la BCE n’aura d’autre choix que de relever ses taux d’intérêt, avec le risque de provoquer une récession.

La hausse des taux augmentera le coût du crédit et freinera la demande (consommation et investissement). Cette baisse de la demande exercera une pression à la baisse sur les marges des entreprises et limitera les hausses de salaires et donc les effets de second tour. Mais cette baisse de la demande risque de freiner une croissance déjà faible et de faire entrer la zone Euro en récession.

La hausse des taux limitera aussi l’inflation en soutenant l’Euro. Plus l’euro sera fort, plus l’inflation importée sera faible et plus son rythme pourra ralentir. La partie est cependant loin d’être gagnée dans la mesure où le resserrement monétaire est déjà enclenché aux Etats-Unis et devrait se poursuivre, ce qui pourrait renforcer le dollar face à l’euro.

Il se pourrait même que la BCE soit contrainte de poursuivre ses rachats d’actifs pour limiter la hausse des taux des obligations d’État de long terme dans certains pays de la zone Euro. Cela risque alors de provoquer une inversion de la courbe des taux. En effet, en augmentant les taux courts et en diminuant les taux longs, la BCE prendrait le risque de taux courts supérieurs aux taux longs. Or une telle inversion de la courbe des taux s’accompagne souvent d’une entrée en récession quelques mois plus tard.

Une récession en zone Euro est-elle donc inévitable ?

Il est malheureusement à craindre que oui. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elle soit déjà engagée dans certains pays, dont la France.

Il existerait bien une alternative au resserrement monétaire qui pourrait être mise en place (avant que ne se déclenche une boucle prix salaires) de mesures budgétaires de soutien qui compenseraient la perte de pouvoir d’achat des salariés et limiteraient ainsi leurs revendications salariales.

C’est d’ailleurs une voie choisie par le gouvernement français avec la subvention sur les carburants mise en place à compter du 1er avril ou le blocage des prix du gaz et de l’électricité.

Ces mesures budgétaires ne peuvent cependant être pérennes car elles sont coûteuses, très coûteuses. Elles ne peuvent se prolonger sans augmenter des dettes publiques déjà conséquentes et affaiblir la confiance dans l’euro, voire pire. Elles constituent donc un pari sur la durée de l’épisode inflationniste.

Or dans le contexte actuel, tout porte désormais à croire que l’épisode inflationniste sera plus long que prévu. Christine Lagarde l’a d’ailleurs admis puisqu’elle considère désormais que « l’impact à la hausse pourrait durer un certain temps ».

Une hausse des taux est donc inévitable pour freiner l’inflation. Elle devrait aussi freiner la croissance, avec un risque élevé de récession. Un mal pour un bien ?

Assurez-vous que vos placements financiers pourront traverser cette période de turbulence qui s’annonce

Le resserrement monétaire en zone Euro et aux États-Unis devrait s’accompagner d’une volatilité accrue sur les marchés financiers. Des krachs ne sont pas à exclure.

  • La fin de l’argent facile dégradera les perspectives de profit des entreprises. Les plus endettées (les valeurs dites de croissance) risquent d’éprouver de réelles difficultés.
  • La hausse des taux dégradera la valeur des obligations.

Dans ce contexte où le pire ne peut être exclu, vos placements doivent pouvoir encaisser une baisse de 30 à 40 % des marchés sans que cela ne conduise à des niveaux de perte qui vous seraient insupportables. N’oubliez pas que les marchés financiers ne restent jamais déprimés très longtemps, contrairement à l’économie réelle.

Faut-il se tourner vers des valeurs refuges ? Encore faut-il bien les choisir (indice : Bitcoin n’est pas une valeur refuge ;-)).

Conseiller financier indépendant
Titulaire d'un master en gestion de patrimoine et docteur en économie.

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