Le niveau d’inflation approche actuellement 5 % en France, bien au-delà de la cible de 2 % fixée par la Banque Centrale Européenne. Faut-il s’en inquiéter ? Oui.
Rappel :
L’Insee définit l’inflation comme la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.
Lorsque l’inflation augmente, vous achetez moins avec la même somme.
L’inflation s’établissait à 4,5 % en France en mars 2022. Elle pourrait dépasser 5 % en avril. C’est un niveau jamais atteint depuis le début des années 2000 et la création de l’euro. Il y a bien eu un pic d’inflation en 2008, mais qui n’a pas atteint le niveau actuel.
L’inflation est encore plus forte dans la plupart des autres pays de la zone euro où elle se situe entre 7 et 8 %. Elle atteint même 9 % en Belgique et 11 % aux Pays-Bas.
C’est la raison pour laquelle certains économistes tel Patrick Artus (Natixis) n’excluent pas que l’inflation puisse atteindre 8 voire 10 % en France d’ici la fin de l’année 2022.
Cette hausse des prix inédite résulte de la conjonction de plusieurs facteurs :
Les multiples causes de l’inflation
source : La finance pour tous
L’inflation actuelle pénalise surtout les ménages, qui subissent de plein fouet la hausse de prix de l’énergie et de certains biens. La situation est plus contrastée pour les entreprises. Certaines voient leurs marges se réduire (leurs coûts augmentent et elles sont dans une situation où elles ne peuvent augmenter leurs prix) tandis que d’autres parviennent à répercuter la hausse de leurs coûts dans leurs prix.
Pour les ménages, dont la plupart n’ont pas vu leur rémunération s’ajuster à la hausse de prix, la perte de pouvoir d’achat est significative et fait peser un risque sur la croissance. Tous les ménages ne pourront compenser leur perte de pouvoir d’achat en piochant dans leur épargne et une contraction de la consommation n’est pas à exclure.
Cet enchaînement Inflation/perte de pouvoir d’achat/baisse de la consommation/récession semble d’ailleurs se mettre en place, comme en témoignent les premières estimations de l’Insee pour le premier trimestre 2022. La croissance de l’économie française y ressort à 0 %, en raison principalement d’une consommation des ménages en retrait de -1,3 %.
Or l’inflation devrait encore s’accroître dans les prochains mois et atteindre près de 8 %. Ce niveau pourrait être dépassé si un embargo était décidé sur le gaz et/ou le pétrole russe.
Un tel choc d’inflation ne peut être absorbé par les ménages, même avec l’aide de l’État et le déploiement de divers « chèques ». Une hausse des rémunérations est inévitable.
Cette diffusion de l’inflation aux salaires constitue un risque majeur. Elle peut provoquer une inflation auto-entretenue via la mise en place d’une boucle prix-salaires.
La hausse des salaires provoquera une hausse des coûts qui pourrait se répercuter sur les prix de vente, puis sur les salaires, et ainsi de suite.
C’est cette inflation auto-entretenue qu’il faut prévenir car elle peut déboucher sur une inflation durablement élevée.
Plusieurs arguments plaident pour la stabilité des prix :
Par ailleurs, les disparités observées dans la zone Euro ne sont pas tenables. Elles doivent être corrigées sous peine de provoquer des divergences entre pays qui pourraient mettre la zone euro en péril.
La France est parvenue à limiter son inflation aux alentours de 5 % mais cela sera vraisemblablement insuffisant pour éviter une intervention de la BCE. L’inflation est trop élevée dans d’autres pays de la zone Euro.
Pour éviter les effets de second tour et une divergence des économies de la zone euro, la BCE n’aura d’autre choix que de relever ses taux d’intérêt, avec le risque de provoquer une récession.
La hausse des taux augmentera le coût du crédit et freinera la demande (consommation et investissement). Cette baisse de la demande exercera une pression à la baisse sur les marges des entreprises et limitera les hausses de salaires et donc les effets de second tour. Mais cette baisse de la demande risque de freiner une croissance déjà faible et de faire entrer la zone Euro en récession.
La hausse des taux limitera aussi l’inflation en soutenant l’Euro. Plus l’euro sera fort, plus l’inflation importée sera faible et plus son rythme pourra ralentir. La partie est cependant loin d’être gagnée dans la mesure où le resserrement monétaire est déjà enclenché aux Etats-Unis et devrait se poursuivre, ce qui pourrait renforcer le dollar face à l’euro.
Il se pourrait même que la BCE soit contrainte de poursuivre ses rachats d’actifs pour limiter la hausse des taux des obligations d’État de long terme dans certains pays de la zone Euro. Cela risque alors de provoquer une inversion de la courbe des taux. En effet, en augmentant les taux courts et en diminuant les taux longs, la BCE prendrait le risque de taux courts supérieurs aux taux longs. Or une telle inversion de la courbe des taux s’accompagne souvent d’une entrée en récession quelques mois plus tard.
Une récession en zone Euro est-elle donc inévitable ?
Il est malheureusement à craindre que oui. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elle soit déjà engagée dans certains pays, dont la France.
Il existerait bien une alternative au resserrement monétaire qui pourrait être mise en place (avant que ne se déclenche une boucle prix salaires) de mesures budgétaires de soutien qui compenseraient la perte de pouvoir d’achat des salariés et limiteraient ainsi leurs revendications salariales.
C’est d’ailleurs une voie choisie par le gouvernement français avec la subvention sur les carburants mise en place à compter du 1er avril ou le blocage des prix du gaz et de l’électricité.
Ces mesures budgétaires ne peuvent cependant être pérennes car elles sont coûteuses, très coûteuses. Elles ne peuvent se prolonger sans augmenter des dettes publiques déjà conséquentes et affaiblir la confiance dans l’euro, voire pire. Elles constituent donc un pari sur la durée de l’épisode inflationniste.
Or dans le contexte actuel, tout porte désormais à croire que l’épisode inflationniste sera plus long que prévu. Christine Lagarde l’a d’ailleurs admis puisqu’elle considère désormais que « l’impact à la hausse pourrait durer un certain temps ».
Une hausse des taux est donc inévitable pour freiner l’inflation. Elle devrait aussi freiner la croissance, avec un risque élevé de récession. Un mal pour un bien ?
Le resserrement monétaire en zone Euro et aux États-Unis devrait s’accompagner d’une volatilité accrue sur les marchés financiers. Des krachs ne sont pas à exclure.
Dans ce contexte où le pire ne peut être exclu, vos placements doivent pouvoir encaisser une baisse de 30 à 40 % des marchés sans que cela ne conduise à des niveaux de perte qui vous seraient insupportables. N’oubliez pas que les marchés financiers ne restent jamais déprimés très longtemps, contrairement à l’économie réelle.
Faut-il se tourner vers des valeurs refuges ? Encore faut-il bien les choisir (indice : Bitcoin n’est pas une valeur refuge ;-)).
Conseiller financier indépendant
Titulaire d'un master en gestion de patrimoine et docteur en économie.