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Cryptomonnaies : une économie de la croyance

Cryptomonnaies : une économie de la croyance

par Arnaud Sylvain | Economie

Juin 15

Un constat s’impose : les cryptomonnaies ne reposent sur rien d’autre qu’une croyance collective. Une croyance qui, à elle seule, détermine leur prix, leur légitimité et leur pérennité.

 

Depuis leur apparition avec le Bitcoin en 2009, les cryptomonnaies fascinent, inquiètent, attirent. Elles se présentent comme une alternative aux monnaies traditionnelles, une rupture technologique et économique.

Pourtant, lorsqu’on interroge leur valeur réelle, un constat s’impose : les cryptomonnaies ne reposent sur rien d’autre qu’une croyance collective. Une croyance qui, à elle seule, détermine leur prix, leur légitimité et leur pérennité.

La confiance comme unique fondement

Une monnaie, qu’elle soit traditionnelle ou numérique, vaut par la confiance qui lui est accordée. L’euro ou le dollar ne sont que des bouts de papier ou des lignes de compte ; ils tirent leur valeur de la confiance, que ce soit dans l’État, dans la Banque centrale, ou dans la stabilité du système économique et juridique.

Les cryptomonnaies ont rompu avec ce socle institutionnel. Leur promesse est ailleurs,dans la transparence du code, la décentralisation des échanges, l’absence d’intermédiaires.

En théorie, elles reposent sur un consensus algorithmique plutôt que sur la légitimité d’un État. Mais ce consensus n’est opérant que parce qu’un certain nombre d’individus acceptent d’y croire. Il n’y a aucune force coercitive pour imposer cette monnaie, ni aucune garantie de valeur extérieure au système.

Leur valeur repose donc sur une forme de foi partagée, comparable à celle qui soutient les religions ou les récits collectifs : tant que la communauté y croit, la structure tient. Le jour où la croyance s’effondre, tout peut disparaître — sans filet.

Une utilité encore marginale

Les cryptomonnaies sont souvent présentées comme des instruments révolutionnaires : paiements instantanés et sans frontières, contrats automatisés, finance décentralisée… Pourtant, en pratique, ces usages restent très limités.

Moins de 0,1 % des transactions mondiales se font en cryptomonnaies et parmi les commerçants qui acceptent le Bitcoin, la plupart convertissent les fonds reçus en devises classiques. En cause, la forte volatilité des cours qui rend tout prix instable, et des frais de transaction parfois élevés (plusieurs euros pour un simple transfert lors des pics de congestion).

La finance décentralisée (DeFi) censée remplacer les banques fonctionne souvent en vase clos : une crypto est déposée pour en emprunter une autre, via des mécanismes automatisés mais dans les faits, il s’agit d’un système parallèle à l’économie réelle utilisé majoritairement par une minorité d’investisseurs technophiles. En 2022, la majorité des fonds DeFi étaient concentrés dans moins de 1 % des portefeuilles.

Il existe toutefois des cas d’usage ponctuels, notamment dans des pays soumis à des crises monétaires graves. Au Venezuela, en Ukraine ou en Turquie, des stablecoins comme l’USDT ont parfois été utilisés pour contourner l’hyperinflation ou sécuriser des transferts internationaux. En 2021, le Salvador est devenu le premier pays au monde à déclarer le bitcoin comme monnaie légale.

Ces usages restent néanmoins circonscrits et ne concernent qu’une infime partie de la population mondiale.

La spéculation comme moteur central

La dynamique réelle des cryptomonnaies est avant tout spéculative. Plus de 60 % des bitcoins en circulation n’ont pas été déplacés depuis plus d’un an, signe que leurs détenteurs attendent une hausse future. Les cryptomonnaies ne sont pas utilisées mais stockées avec l’espoir que leur valeur augmente.

Les messages dominants de l’écosystème — « HODL », « to the moon », « opportunité générationnelle » — ne décrivent pas une monnaie en circulation, mais un actif en attente de valorisation.

Cette spéculation est entretenue par plusieurs facteurs :

  • Des plateformes qui tirent profit des volumes d’échange ;
  • Des influenceurs qui racontent les gains passés ;
  • Une communauté qui valorise la montée du cours comme une validation idéologique du projet crypto lui-même.

La mécanique implicite est claire&nbsp: acheter aujourd’hui pour vendre plus cher demain. Il ne s’agit pas tant d’échanger de la valeur que de la faire croître par l’arrivée de nouveaux entrants. En ce sens, l’économie crypto fonctionne comme un marché tourné vers lui-même, où la valeur augmente tant que la croyance s’élargit.

Un écosystème fermé sur lui-même

Le marché crypto est auto-sélectionné : seuls y participent ceux qui y croient, ou ceux qui spéculent. Les sceptiques, les institutions prudentes, les utilisateurs réticents, en restent à l’écart. Le prix se forme donc exclusivement à partir d’une base convaincue.

Ce phénomène crée un effet de bulle cognitive. Toute critique est qualifiée de « FUD » (Fear, Uncertainty, Doubt), et les alertes rationnelles sont balayées comme des attaques hostiles. L’écosystème se referme, devient imperméable à l’analyse extérieure.

cependant, cette fermeture fragilise la structure. Lorsqu’un élément fissure la croyance collective (scandale, faillite, durcissement réglementaire), les corrections sont brutales. En 2022, l’effondrement de l’écosystème Terra/Luna a précipité la perte de plus de 40 milliards de dollars en quelques jours. Peu après, la chute de FTX, l’une des plus grandes plateformes, a illustré à quel point l’absence de garde-fous extérieurs pouvait provoquer une panique systémique.

La régulation : une variable d’équilibre ?

Si les cryptomonnaies se développent en dehors des États, elles n’échappent pas à leurs regards. De nombreux pays réfléchissent à les interdire, les encadrer, ou les intégrer.

La Chine a purement interdit le minage et le trading.

Les États-Unis multiplient les enquêtes et projets de régulation via la SEC.

L’Union européenne, avec le règlement MiCA, tente de normaliser les usages tout en encadrant les risques.

Ce rapport ambivalent aux institutions soulève une question : que devient une monnaie née pour se libérer des États si elle finit par être régulée, fiscalisée, contrôlée ? La croyance survivra-t-elle à son encadrement ? Ou perdra-t-elle justement son attrait ?

Une croyance neutre, mais structurante

Ce constat ne condamne pas les cryptomonnaies. Il ne les idéalise pas non plus. Il invite à les regarder pour ce qu’elles sont : des objets spéculatifs adossés à une croyance collective.

Croire en la rareté numérique, en la puissance du code, en la fin des banques centrales — ce ne sont ni des fautes, ni des vertus. Ce sont des récits, des visions du monde. Tant qu’un nombre suffisant de personnes y adhèrent, la machine tourne. Mais le jour où la croyance se délite, il n’y a pas de réalité tangible à quoi se raccrocher.

C’est à la fois la force et la vulnérabilité du système.