
À mesure que les ETF s’imposent dans l’épargne des ménages français, une question discrète mais essentielle émerge : ont-ils libéré l’investisseur… ou l’ont-ils endormi ? Instruments de démocratisation, ils ont bousculé une industrie figée. Mais à force de suivre l’indice, certains ont cessé de se demander ce qu’ils suivent vraiment.
Et si le vrai risque des ETF n’était pas financier mais intellectuel ? Ces fonds, nés pour simplifier l’investissement, séduisent aujourd’hui par leur évidence. À force de répéter que « suivre l’indice suffit », beaucoup ont cessé de se demander ce qu’ils suivent vraiment. Autrefois outils d’ingénierie, les ETF sont devenus un réflexe collectif. Mais peut-on encore parler de gestion passive lorsque tout le monde emprunte le même chemin ?
Il y a vingt ans, peu auraient parié sur un tel raz-de-marée en France. Longtemps réservés à une poignée d’initiés, les ETF s’imposent désormais comme la solution automatique dans le PEA ou l’assurance-vie. Plateformes, conseillers, influenceurs et médias martèlent le même credo : frais imbattables, simplicité, performance du marché. Pourtant, ce triomphe interroge : la gestion passive reste-t-elle bénéfique si elle devient universelle ?
À l’origine, les ETF étaient conçus pour les investisseurs institutionnels. Leur mécanique, technique et abstraite, paraissait hors de portée du grand public. Mais la digitalisation des banques et des courtiers a tout changé. Acheter un ETF se fait aujourd’hui en quelques clics depuis son canapé. Plus besoin d’un diplôme de finance pour investir globalement. Cette accessibilité, renforcée par un marketing simplificateur (« suivre l’indice suffit »), a transformé un outil technique en produit grand public.
Leur succès repose sur leur rendement mais aussi sur leur intégration dans les grandes enveloppes d’épargne : PEA et assurance-vie. Même les épargnants les plus prudents croisent désormais ces sigles, souvent sans en saisir les implications. L’acte d’investir devient aussi simple — et aussi banal — qu’un virement bancaire. Sous couvert de diversification, l’ETF s’impose comme le placement de référence du débutant… et parfois comme la fin de toute réflexion personnelle.
Il faut le reconnaître : sans les ETF, des millions d’épargnants continueraient de payer des frais exorbitants pour des fonds actifs sous-performants. Leur succès a forcé l’industrie à se réformer, et c’est une victoire pour le petit investisseur.
Dès qu’une solution semble sûre et adoptée par la majorité, elle attire les hésitants. Les forums, les classements, les « tops ETF » créent un effet d’entraînement massif. Chacun croit accéder à la performance mondiale sans effort. Ce mimétisme transforme un instrument rationnel en réflexe social, choisi avant même d’en comprendre les ressorts.
La perception du risque s’en trouve altérée. À force de voir le mot « passif », certains supposent que l’investissement se résume à copier les autres. La prudence analytique laisse place à un automatisme confortable. Or si un ETF n’est pas dangereux par nature, il le devient lorsqu’il remplace une stratégie plutôt qu’il ne l’exécute.
À mesure que la gestion passive s’impose, une tension nouvelle apparaît : suivre l’indice devient une fin en soi. D’un côté, cela soulage de la pression de « battre le marché ». De l’autre, cela produit une uniformisation des portefeuilles. Que se passe-t-il lorsque tout le monde détient les mêmes titres, aux mêmes pondérations ?
La concentration des flux sur les grands indices — MSCI World, S&P 500 — agglomère mécaniquement l’épargne autour de quelques géants mondiaux. En 2025, les cinq plus grandes entreprises du S&P 500 représentent près de 30 % de l’indice. Un épargnant qui croit investir dans « le monde entier » via un ETF mondial détient en réalité près de 70 % d’actions américaines — et une part disproportionnée dans quelques entreprises technologiques.
En théorie, le suivi passif est efficace. En pratique, beaucoup d’épargnants ignorent la composition exacte de leurs ETF. Ils cumulent parfois plusieurs fonds soi-disant « diversifiés »… qui contiennent pourtant les mêmes valeurs. Ce paradoxe crée une illusion de sécurité : la diversification n’est plus réelle, elle est simplement comptable.
Chaque crise le rappelle : copier la tendance dominante expose à des chocs collectifs. Personne ne questionne l’allocation standardisée en période d’euphorie, l’absence de boussole personnelle devient un handicap majeur quand le marché se retourne.
La magie supposée de la diversification s’étiole. Les flux massifs d’achat et de vente sur les mêmes valeurs amplifient les mouvements, réduisent la diversité des comportements et accentuent la sensibilité globale aux crises. En cherchant à neutraliser les biais humains, la gestion passive finit par créer un biais collectif.
« Un marché où tout le monde est passif cesse d’être neutre. »
À mesure que la gestion passive gagne du terrain, le sentiment de sécurité grandit avec elle. L’uniformité rassure : si tout le monde fait pareil, le risque paraît moindre. Cette tranquillité repose pourtant sur une illusion : plus un modèle est majoritaire, plus il devient vulnérable.
La diversification originelle des ETF s’efface lorsque tous les portefeuilles se ressemblent. Dupliquer le même panier revient à partager les mêmes déséquilibres structurels. Le risque collectif se concentre, mais reste invisible. Le confort d’appartenir à la majorité remplace la lucidité stratégique.
En période de calme, vendre un ETF est aussi simple qu’acheter une action. Mais en cas de panique, si tout le monde veut sortir en même temps, les teneurs de marché peuvent se retirer. Les prix d’ETF peuvent alors se décorréler de la valeur réelle de leurs actifs — comme observé lors du « flash crash » de mars 2020.
Remettre l’ETF à sa juste place, c’est redonner à la gestion passive une dimension active : celle du choix. L’investisseur stratégique ne cherche pas à battre l’indice, mais à rester maître de son horizon, de ses besoins, de son rythme.
Les ETF ne sont ni une mode ni une menace. Ils incarnent la révolution utile de la démocratisation financière. Leur triomphe révèle néanmoins un paradoxe : à force de vouloir rendre l’investissement plus accessible, on risque d’en effacer le sens. La gestion passive devient problématique non quand elle échoue mais quand elle réussit trop bien.
Un ETF bien choisi, intégré à une allocation réfléchie, reste un instrument redoutablement efficace. Par contre, il perd sa vertu initiale (offrir à l’épargnant un moyen de mettre sa stratégie en œuvre et non de s’en dispenser) lorsqu’il se transforme en automatisme : L’intelligence de l’investissement ne réside pas dans le produit, mais dans l’intention.
Votre ETF reflète-t-il vos objectifs… ou ceux de la foule ?
Un portefeuille ne pense pas pour vous ; il reflète ce que vous avez cessé de penser.