Alors que cela paraissait impensable, les politiques non conventionnelles menées par les banques centrales ont conduit à l’apparition de taux négatifs. Ainsi, il est désormais possible de contracter un crédit et de rembourser moins que le capital emprunté. Le temps n’aurait-il plus de valeur ?
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« Pour les économistes de l’école néoclassique, le taux d’intérêt est la rémunération de l’abstinence : celui qui prête renonce à une consommation immédiate pour épargner. Le taux d’intérêt devient le prix du temps, la récompense de l’attente. »
(source : Wikipedia)
Les taux négatifs résultent de décisions de la BCE et poursuivent un objectif précis, permettre la reprise économique.
Ces taux négatifs reposent sur l’hypothèse théorique que le taux d’intérêt qui assure l’équilibre entre l’épargne et l’investissement et qui permet à la croissance d’atteindre son potentiel, est négatif. Dès lors que le marché ne peut atteindre ce taux naturel négatif, la BCE doit engager des mesures volontaristes pour y parvenir. Sinon, l’économie de la zone euro risquerait de connaître une situation prolongée de croissance faible, la stagnation séculaire.
d’après Cet obscur taux d’intérêt naturel
La littérature économique suppose qu’il existe un taux d’intérêt qui maintient l’économie au plein emploi sans générer de pressions inflationnistes : c’est le taux d’intérêt « naturel » ou « d’équilibre ».
Depuis le discours prononcé par Larry Summers lors d’une conférence du FMI, beaucoup soutiennent l’hypothèse d’une stagnation séculaire : les économies avancées subiraient une insuffisance chronique de la demande globale et celle-ci déprimerait fortement le taux d’intérêt naturel au point de le rendre négatif.
Pour être pleinement efficaces, les taux négatifs doivent cependant s’accompagner des réformes structurelles nécessaires pour stimuler la croissance économique et augmenter son potentiel. S’ils permettent à la croissance d’atteindre son potentiel, encore faut-il que celui-ci soit suffisant pour réduire significativement un chômage dont le niveau demeure dramatiquement élevé. Or, en abaissant considérablement le coût de leur dette, les taux négatifs offrent aux Etats de la zone euro le temps nécessaire pour se réformer.
Outre cet effet théorique sur l’équilibre épargne investissement, les taux négatifs doivent permettre de relancer l’activité par plusieurs canaux :
« Le principal intérêt de fixer un taux négatif est d’inciter les banques à redistribuer dans l’économie, sous forme de prêts, l’argent qu’elles ont accumulé auprès de la banque centrale. »
Si les taux négatifs ont été déployés par la BCE pour relancer l’économie, il semblerait qu’elle y ait été contrainte par l’inaction des Etats européens. Ainsi, d’après Denis Kessler interviewé par l’Institut Messine pour son recueil sur les taux d’intérêt négatifs,
« En soi, les taux d’intérêt négatifs ne sont ni nécessaires, ni souhaitables pour sortir l’Europe du marasme. Ce sont les États européens qui les ont rendus nécessaires en ne remettant pas de l’ordre dans leurs finances publiques, en ne nettoyant pas suffisamment les bilans des agents et en renvoyant à plus tard les réformes structurelles nécessaires pour redonner aux économies européennes la flexibilité dont elles ont besoin pour tirer les leçons de la crise et réallouer en conséquence les facteurs de production entre les activités et les entreprises. »
Les taux négatifs représentent donc une anomalie motivée par l’inaction des Etats et la peur d’une stagnation séculaire.
La Banque Centrale Européenne dispose de différents outils pour faire baisser les taux
La politique monétaire de la zone euro repose sur trois taux directeurs :
Le marché interbancaire est un marché où les banques s’échangent des actifs financiers de court terme, entre un jour et un an. L’offre émane des banques ayant des liquidités disponibles et la demande, des banques ayant besoin de liquidités. Les échanges entre les banques se font au taux du marché interbancaire, qui correspond au prix de l’argent au jour le jour.
A cause de la transformation des dépôts en billets et des réserves obligatoires qui leur sont imposées, les banques souffrent globalement d’un manque de liquidités chronique. La BCE intervient directement sur le marché interbancaire en offrant ou en demandant des liquidités. Si la BCE offre une quantité importante de capitaux, le taux de ce marché diminue et les banques ont plus de facilités à se financer. À l’inverse, si la BCE emprunte beaucoup de capitaux, la demande augmente et le taux augmente.
Grâce au taux de dépôt, la BCE peut influer sur le coût du crédit accordé aux agents économiques. En effet, plus les banque se financent à un taux faible (auprès des autres banques ou de la BCE), plus elles peuvent accorder des crédits à l’économie (entreprises, ménages, administrations) à des taux faibles. Cette baisse du coût du crédit améliorera alors la rentabilité des projets d’investissement et favorisera donc une relance de l’activité par le crédit.
Outre le coût du crédit, la BCE peut également influer sur le volume des crédits accordés à l’économie. Grâce à une politique de rachats d’actifs massifs (Quantitative Easing), elle fournit des liquidités aux banques, qui peuvent ensuite augmenter les crédits en conséquence. En outre, ces rachats augmentent fortement la demande pour ces actifs, et donc leur prix. Il en découle un effondrement du rendement des titres souverains, qui peut devenir négatif pour certains pays et certaines durées.
Par ailleurs, le renforcement de la régulation contraint désormais les banques à détenir plus de titres sûrs. Ainsi, la pondération du risque imposée par la régulation dans les bilans des banques les oblige à investir massivement dans des titres de dettes très liquides, notamment des obligations souveraines. Il en résulte une demande accrue pour ces titres, qui contribue à diminuer encore leur rendement.
En plus du taux de dépôt négatif et d’un rachat d’actifs massifs, la BCE recourt au Forward Guidance pour abaisser les taux d’intérêt à long terme. Dès lors que la BCE donne des informations sur les orientations futures de sa politique de taux directeurs et de Quantitative Easing, elle favorise une détente des taux à long terme.
d’après La stratégie de Forward Guidance
Les théories macroéconomiques contemporaines considèrent que la demande globale ne dépend pas seulement des taux d’intérêt courants de court terme, mais aussi des taux anticipés de long terme, qui dépendent quant à eux des taux anticipés de court terme. Dans une situation de trappe à liquidité où la politique de baise des taux d’intérêt ne permet plus de relancer l’activité, ces anticipations vont même davantage importer qu’en temps normal.
Par conséquent, la politique monétaire peut gagner en efficacité si les banquiers centraux informent les marchés des mesures qu’ils prendront à l’avenir. Le Forward Guidance correspond précisément à l’envoi de signaux aux marchés pour les informer de la probable trajectoire que le taux directeur suivra dans le futur.
La BCE a donc engagé différentes actions pour abaisser les taux d’intérêt jusqu’en territoire négatif et relancer l’activité.
S’il est aisément compréhensible qu’emprunter à taux négatif soit une opportunité (l’emprunteur rembourse un capital inférieur au capital emprunté), il est plus difficile de comprendre les motivations du prêteur. Pourquoi prêter pour récupérer moins ? Pourquoi acheter des obligations à taux négatif ?
Cependant, les prêteurs à taux négatif ne l’acceptent que parce qu’ils y sont contraints. S’ils le pouvaient, ils préféreraient acquérir des billets de banque. Cela explique d’ailleurs pourquoi les banques n’appliquent pas des taux négatifs sur les comptes courants, pour inciter les déposants à consommer et investir. Il est plus facile pour un particulier que pour une banque de stocker ses liquidités excédentaires sous forme de billets.
La politique de baisse des taux d’intérêt menée par la BCE vise à relancer l’activité. Elle comporte néanmoins plusieurs risques.
« Le maintien des taux d’intérêt à un niveau très faible a jusqu’à présent permis aux États et aux entreprises de se financer à moindre coût en émettant des obligations. Mais cette situation a dans le même temps provoqué une gigantesque bulle sur le marché. Dès lors, toute remontée des taux rendra les emprunteurs insolvables et ruinera les prêteurs, confrontés à une baisse de la valeur des titres achetés. Comme la bulle obligataire est bien plus importante que ne l’était la bulle immobilière aux Etats-Unis, la crise sera pire. »
Il est impératif que la politique monétaire dispose de marges de manœuvre pour pouvoir faire face au prochain ralentissement conjoncturel et/ou à la prochaine crise. Or, ces marges sont actuellement particulièrement réduites. Il paraît en effet difficile d’envisager que la BCE puisse aller beaucoup plus loin. En conséquence, la monnaie hélicoptère pourrait bien être la seule option envisageable pour éviter le pire si la BCE ne normalisait pas sa politique monétaire d’ici la prochaine crise. Cette création monétaire ex nihilo représenterait néanmoins un saut dans l’inconnu particulièrement risqué.
Cependant, le contexte actuel d’endettement excessif des agents, de taux de chômage élevé, de croissance et d’inflation faibles ne permet pas à la BCE d’engager un durcissement normalisation de sa politique monétaire. En outre, une sortie trop brutale de la politique monétaire non conventionnelle de la BCE pourrait provoquer une hausse des taux d’intérêt et une explosion des bulles. Que faire ?
La crainte d’une déflation massive a conduit la BCE à mener à des politiques monétaires non conventionnelles dont la persistance comporte des risques qui pourraient se révéler pire que le mal. Lesquels ? Au mieux, une restructuration des dettes des Etats européens. Au pire, un krach obligataire, une montée des populismes et une explosion de la zone euro.
Mais alors, quelle est la solution ? Très certainement une intégration renforcée des pays de la zone euro, avec un budget commun et conséquent permettant d’organiser des transferts entre pays. La situation actuelle qui fait de la BCE une institution toute puissante sans contrepoids montre clairement ses limites.
Une courte vidéo de la Banque de France
Taux d’intérêt négatifs : 12 regards – Institut Messine (Pdf)
Comment expliquer les taux d’intérêt négatifs ? – La finance pour tous
Titulaire d'un master en gestion de patrimoine et docteur en économie.
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